La pêche à la sardine

Au 19 ème siècle Camaret était principalement un port sardinier.

Depuis des siècles, à Camaret comme dans la plupart des ports de Bretagne sud, on pêchait la sardine. A bord de petites embarcations, des chaloupes ou des canots, les pêcheurs s'embarquaient à la journée en équipages de 4 ou 5 marins pour capturer le poisson en mer d'Iroise.

Les sardiniers
Les sardiniers dans l'ance du Véryach

La pêche sardinière était saisonnière. Au printemps, quand les bancs compacts longeaient les côtes de Bretagne, les équipages armaient les chaloupes.
Les sardines se pêchaient avec des filets droits dans lesquels les marins les attiraient en appâtant avec de la «rogue», potion magique à base d’œufs de morue, importée des pays nordiques, dont les sardines raffolent.
Cette pêche se pratiquait de manière ancestrale, il y avait peu d'évolution au niveau du matériel ou des méthodes de pêche. Chaque marin avait un rôle précis à bord de la chaloupe, les gestes étaient les mêmes sur tous les bateaux.

La saison de pêche commençait au printemps, parfois un peu plus tard, lorsque les bancs arrivaient sur nos côtes. Dès les beaux jours on armait les chaloupes qui souvent avaient passé l'hiver au sec en haut de la grève. Les coques étaient imprégnées d'une couche de "coaltar" et le matériel de pêche embarqué. Les équipages venaient en partie des campagnes environnantes, beaucoup d'hommes quittaient leurs fermettes, attirés par un gain rapide quand la sardine donnait.

Certains équipages de chaloupes travaillaient toute l'année. Ils adaptaient leur pêche aux saisons, le maquereau, la raie en hiver, la sardine de dérive, et bien sûr les crustacés.

La pêche sur une chaloupe

De trés bonne heure le matin, bien avant le lever du jour, les chaloupes quittaient le port. Elles appareillaient pour les lieux de pêche, pas très éloignés, à quelques milles de Camaret : à Berthaume, aux Tas de Pois, dans la baie de Dinan ou au large du Toulinguet. Les pêcheurs traquaient la sardine jour après jour. Ils savaient souvent où la trouver mais parfois il fallait chercher longtemps car elle se déplaçait. Le patron devait être expérimenté.

Les sardiniers
"La chaloupe "Notre Dame de Rocamadour", construite en 1892, béquillée devant le quai Toudouze représente bien les chaloupes camaretoises de la fin du 19 ème siècle (Photo Holley - Archives municipales de Brest) .

Le trajet se faisait à la voile si le vent le permettait, ce qui d'ordinaire était le cas, mais parfois il fallait tirer sur les avirons.
Arrivés sur les lieux de pêche les voiles étaient amenées et les deux mâts abaissés, puis les avirons étaient mis en place. Pour cette pêche il fallait garder la chaloupe face au vent ou au courant afin que le filet reste dans l'alignement du bateau. Les deux hommes de nage assuraient ce rôle pendant tout le temps de la pêche.

Le filet était mis à l'eau derrière le bateau. C'était un filet droit en fil très fin. Il formait dans la mer un barrage de 5 brasses de hauteur (1 brasse = 1.82m), et de 15 brasses de long. La corde du haut garnie de lièges restait en surface, celle du bas lestée de quelques pierres maintenait le filet vertical. Le rôle des rameurs était de garder le filet légèrement tendu dans l'axe de la chaloupe. Une fois le filet allongé derrière le bateau, le patron de la chaloupe commençait à appâter. Il jetait d'abord à la mer de la farine d'arachide mélangée à un peu de rogue. Cette farine, qui coule très lentement, partait dans le courant parfois loin du bateau.

Les sardiniers
"Action de pêche": la chaloupe a baissé ses deux mâts les hommes de nage maintiennent le bateau, le patron, debout sur le tolenn appâte pour attirer la sardine

Les sardines, attirées, remontaient le courant jusqu'à la chaloupe. Quand elles commençaient à se montrer (mais pas toujours), on disait : "la sardine lève". Puis la farine était mélangée ou remplacée par la rogue sur laquelle le poisson se ruait. L'art du patron était de garder le banc derrière la chaloupe et de l'attirer dans le filet. L'appât était jeté du côté opposé à celui ou se trouvait la sardine.
Quand le filet avait capturé un bon nombre de poissons, il arrivait que les lièges s'enfoncent, il était alors relevé et on en mouillait aussitôt un autre. Il fallait toujours "garder le poisson" c'est à dire faire en sorte qu'il reste autour du bateau, appâter régulièrement mais pas trop.

Les chaloupes sardinières avaient à bord plusieurs sortes de filets car ils fallait adapter la taille des mailles à celle du poisson. La sardine se prenant par les ouies, si le poisson était plus petit que la maille il passait au travers du filet, s'il était trop gros, il ne maillait pas.

Parfois cette pêche attirait d'autres poissons, des prédateurs, bars, maquereaux qui venaient prélever leur part de sardines ou de rogue, ils pouvaient effrayer et disperser le banc.
Les plus redoutables étaient les marsoins et dauphins qui se ruaient sur la sardine et emportaient et déchiraient les filets. Ces espèces aujourd'hui protégées étaient à l'époque considérés comme nuisibles.
Il y avait aussi les thons rouges, de gros poissons pouvant atteindre jusqu'à 200 kilos ou plus, qui, trés discrets se calaient sous une chaloupe et attendaient que nos pêcheurs leur apportent la sardine à portée de gueule, dans ce cas la journée était perdue.

La pêche terminée il fallait rentrer au port pour la vente, c'était souvent la course, les premiers arrivés ayant les meilleurs prix. Les mâts étaient remis en place, la misaine et le taillevent hissés et toute la flottille s'élançait en direction du port.

les problèmes des sardiniers:

1 La ponctualité des bancs de sardines: Cette pêche relativement facile, qui ne demandait pas d'aller très loin en mer et qui permettait de rentrer au port tous les soirs, était sujette à la régularité des migrations de sardines. Elles pouvaient disparaitre pendant pendant plusieurs années.

2 Le prix de la rogue : c'était l'appât pour attirer les sardines dans le filet, indispensable et irremplaçable mais souvent très chère pour les sardiniers. Fabriquée à base d'oeufs de morue, la rogue était importée de Bergen en Norvège par des caboteurs et faisait l'objet d'une forte spéculation.

3 Le prix d'achat du poisson: Les presseurs puis surtout les usiniers décidaient du prix d'achat du poisson. Le pêcheur était captif et subissait leur dictat. La sardine devant être traitée rapidement car il était difficile d'aller chercher d'autres acheteurs. Quand la sardine était abondante, les prix s'effondraient.

La commercialisation des sardines

Sardine fraiche ou la sardine au vert.

Une partie de la pêche pouvait être vendue fraiche ou légèrement salée pour une consommation dans des courts delais. On l'appelait la "sardine au vert".

Les salaisons, le pressage des sardines.

Le pressage, utilisé depuis le 18 ème siècle en Bretagne, avait été une grande évolution pour le traitement de la sardine. Il permettait de la conserver plusieurs mois et de la transporter par cabotage sur les lieux de consommation. Ce procédé a permis un premier développement de cette pêche et de créer un commerce maritime entre les ports bretons et des grands ports comme Nantes, Bordeaux ou St Malo.
Le pressage se faisait en deux temps:
1 le saumurage: Les sardines étaient immergées dans de la saumure pendant une dizaine de jours puis lavées et séchées. Cette opération pouvait être faite par les pêcheurs.
2 le pressage: les sardines étaient disposées par couches dans des barils, alternées avec une couche de sel. Ce contenu était ensuite pressé pendant 10 ou 12 jours avec un système de levier auquel on appliquait des poids. Durant le pressage il s’écoulait de l’huile et de l’eau par des trous percés à la base du baril. Ce procédé, correctement appliqué, permettait de conserver la sardine plusieurs mois, elle était ensuite commercialisée en barils.
Ceci avait lieu dans des maisons spécialisées. On trouve encore dans certaines maisons de Camaret des vestiges de ces magasins.

Les conserveries ou friteries.

Les sardinières
Le sèchage des sardines à Morgat (Coll Jos)

Dans la deuxième moitié du 19ème siècle, suite aux travaux de Nicolas Appert,
Wikipédia: L’appertisation peut être définie comme un procédé de
conservation qui consiste à stériliser par la chaleur des denrées périssables
dans des contenants hermétiques (boîtes métalliques, bocaux en verre…).
les conserveries se sont développées et ont peu à peu remplacé le pressage.

En 1870 une première usine de conserves (appelée aussi friterie), l'usine "Beziers", s'installa à l'entrée du port et donna un nouvel élan à la pêche à la sardine qui entait dans dans sa phase industrielle.
Quatre ans plus tard deux nouveaux usiniers s'installèrent : Rouland (près l'actuel super U) et Garrec sur le quai.
En 1880 deux nouvelles conserveries, celle d'Alfred Caradec et celle de la Société Brestoise au Styvel (dite l'usine rouge à cause de son toit en tuiles).

Avec toutes ces conserveries et les quelques ateliers de salaison qui continuaient à produire, la demande de poisson était forte. Ces nouveaux débouchés ont engendré un nouvel essor de la pêche sardinière.

Une succession de bonnes et mauvaises années.

Mais ce poisson a toujours été imprévisible. Certaines années il n'était pas au rendez vous laissant nos pêcheurs et usiniers sans ressource. Tant que la pêche était artisanale, ils arrivaient à survivre en s'adonnant à d'autres métiers, mais après l'installation des usines qui faisaient vivre une grande partie de la population, l'absence de pêche est devenue dramatique et a engendré de grandes crises, la plus connue étant celle de 1902.

Ainsi, de 1870 à 1872, juste après l'installation de la première usine, la sardine diparut de nos côtes pour revenir en 1873.
Les cinq années suivantes furent correctes, 1878 fut même une exellente année.
De 1880 à 1887, la sardine se fitrare, souvent absente, provoquant de de graves problèmes économiques. Elle revint en 1888 et les années 90 furent à peu près normales.

En 1895 Camaret comptait une centaine de chaloupes sardinières sur lesquelles embarquaient plus de 500 marins.
Les usines employaient entre 300 et 350 personnes venant de toute la presqu'île.
La sardine était donc la première source de revenus pour ce petit port de 2000 habitants.
Les années de bonne pêche Camaret prospérait.

Mais une nouvelle période de crise se profilait, de 1902 à 1908, exception faite pour 1904, la sardine avait déserté les côtes du Finistère et du Morbihan. Les chaloupes ne ramenant plus de poisson, les usines durent s'arrêter, laissant les ouvrières et ouvriers sans ressource. Toute la population sardinière souffrait, une terrible disette s'intalla. (lire plus bas l'article du journal "Le Finistère")

Cet article relevé dans le journal "Le Finistère" du mercredi 10 décembre 1902 montre l'ampleur de la catastrophe provoquée par la disparition de la sardine sur les côtes du Finistère.

A la Chambre des députés : Secours aux pêcheurs.
Dans l'une de ses dernières séances, la chambre a reçu la proposition de loi ci-après, présentée par MM. Le Bail, Hémon et Guieysse en faveur des marins pêcheurs du Sud-Finistère et du Morbihan éprouvés par l'insuffisance des résultats de la pêche à la sardine pendant la campagne de 1902.
Messieurs,
La pêche à la sardine, qui fait vivre les populations du littoral du sud de la Bretagne, a été à peu près nulle cette année dans le département du Finistère et une partie du département du Morbihan. De mémoire d'homme, jamais une campagne si désastreuse n'a plongé dans une misère plus grande tant de familles de marins et d'ouvriers. Cette pénurie de pêche à la sardine a succédé à une campagne d'hiver très mauvaise dans les eaux de notre littoral, dépeuplées depuis quelques années par les chalutiers à vapeur de l'étranger.
Les usines qui fabriquent les conserves de sardines ont du chômer cette année. Telle maison, par exemple, qui confectionnait d'habitude 30.000 caisses de ce poisson, en a fabriqué seulement 2.000 caisses en 1902. Les ouvriers boîtiers et les manoeuvres n'ont pu travailler. Les femmes et les filles de marins, employées aux usines, qui joignent dans chaque ménage leur gain de saison aux faibles ressources que le chef de famille tire de la pêche, ont été condamnées au chômage, Pour les seuls quartiers de Douarnenez, d'Audierne, de Pont-l'Abbé, Concarneau et Camaret, le nombre des pêcheurs est de 16.490, se livrant pour la plupart à la pêche à la sardine. Si l'on calcule que le nombre des membres de chaque famille est en moyenne de 5 à 6 et si on ajoute aux familles de marins celles des ouvriers boitiers et manoeuvres vivant de l'industrie des conserves, on arrive à constater que le nombre des habitants privés cette année des ressources qui leur assurent un minimum d'existence peut être évalué à 100,000 environ. La délibération prise par le Conseil municipal du Guilvinec, le 8 novembre dernier, donnera une idée de l'étendue du désastre. Le Conseil : Considérant que la pêche a été, cette année, absolument nulle ; Attendu que, faute de pêche, toutes les usines ont chômé ; partant, les familles n'ont pu travailler. Il s'en suit naturellement que toute la population, composée presque exclusivement de personnes ne vivant que du produit de la mer, est plongée dans la plus affreuse misère. Il y a même tout lieu de craindre que, par suite de cette situation critique, bon nombre de personnes succombent aux suites de privations. « Le Conseil prie instamment M. le Préfet et M. le député de la circonscription d'intervenir auprès du gouvernement pour solliciter un secours d'urgence en laveur de notre population maritime si cruellement éprouvée ».
PROJET de LOI:
Article 1er: Un crédit de deux millions (2.000.000 francs) est ouvert aux ministres de l'intérieur et de la marine pour venir en aide aux populations maritimes et ouvrières du Sud-Finistère et du Morbihan, éprouvées par suite de la pénurie de la pêche à la sardine.
Article 2 eme: Le crédit ci-dessus sera imputé sur les fonds libres de l'exercice courant.

Vers une autre pêche ?

A Camaret une minorité de marins, embarqués eux aussi sur des chaloupes, pratiquait la pêche aux crustacés en mer d'Iroise. Cette pêche existait depuis longtemps mais était moins structurée économiquement que celle de la sardine. A la fin du 19ème siècle, vers 1895, une soixantaine de bateaux pêchent le homard et la langouste. Certains étaient polyvalents et pouvaient changer de pêche en reprenant les filets à sardine si la période était favorable.

Voir la suite Les débuts de la langouste rouge.


 

Diaporama sur les sardiniers